Journal

Nous rêvons tous de retrouver un journal, des notes prises par un de nos aïeux, relatant sa vie, ses impressions, ses souvenirs. Dans ma famille, ils n’étaient malheureusement pas très portés sur l’écriture et je n’ai que peu de traces de ce type.

Mon arrière-grand-père Jean dit Louis Barrière a écrit quelques pages pour relater sa vie pendant la première guerre mondiale. Il envisageait de tenir un journal pendant toute la durée de cette guerre qu’il pensait éclair. 

Revenons tout d’abord à son recensement militaire. A l’époque il habitait à Marchiennes (Nord) où il était ajusteur. Il était affecté à une compagnie servant à Cheval.

Barrière Jean dit Louis à cheval pendant son service militaire © Collection personnelle

En 1914, jeune marié il demeure à Paris au 67 rue de la Mare.

Extrait du livret militaire de Barrière Jean dit Louis © Collection personnelle

Le récit de son journal commence le 3 août 1914. Le voici retranscrit.

Lundi 3 août: Pris le train à la gare de la Chapelle après avoir embrassé tout le monde, j’ai laissé à la maison ma mère en pleurs, pauvre femme, elle ne fait pas quelques jours avant avoir élevé deux fils pour les envoyer à la boucherie. Arrivé à Douai à minuit je rentre de suite au quartier Conroux que je connaissais déjà. passé une assez bonne nuit.

Extrait de la Nouvelle carte des chemins de fer  A. Taride (Paris) – 1912 © Gallica

Mardi 4 aôut: Pas grand chose Habillement des hommes je reconnais quantité d’amis qui sont pour la plupart des chefs, on se serre la main avec effusion car ils partent presque tous pour la frontière. Moi je suis suis dans une batterie de dépôt et j’attends mon tour pour marcher à l’ennemi car il paraît que nous sommes là pour compléter les batteries où il y aura des tués.

Mercredi 5: Rien de nouveau, c’est le morne ennui de la vie de caserne.

Jeudi 6: on s’ennuie toujours ce qui rompt un peu la monotonie ce sont les nouvelles: il parait que les Belges se défendent vaillamment et l’on parle d’un combat devant Liège où il y aurait 8000 Allemands tués. Pourvu que ça ne dure pas trop et que nous puissions revoir tous les nôtres. Je pense à mon frère, et je me demande s’il a été reconnu malade, pauvre petit gars, il n’est pas très bien, se lever pour aller sur les champs de bataille.

Vendredi 7: Aujourd’hui je suis de garde au polygône et j’en suis content; au moins comme çà je ne suis pas seul avec mes idées qui ne sont pas roses.

Samedi 8: J’ai monté à cheval toute la journée et comme il n’y a pas de selle il a fallu monter à poils aussi ce soir j’ai les fesses écorchées.

Dimanche 9: Répétition de la journée d’hier seulement les fesse me font un peu plus mal: mais il faut bien monter ces chevaux qui ont besoin d’être dressés. Il y en a beaucoup de mauvais parmi eux; un homme a été tué net d’une ruade en pleine poitrine. Je pense à tous les miens et je me demande ce qui se passe à Paris: j’ai écris mardi, à l’heure actuelle je n’ai pas encore de réponse, ce qui fait que j’attends pour écrire une seconde lettre, car je me demande si elles parviennent à destination.

La lettre évoquée est celle reçue par Suzanne et évoquée dans l’article sur les cartes postales.

Lundi 10: Enfin, les nouvelles tant désirées sont arrivées et je les ai lues avidement. ce soir je vais écrire à nouveau pour rassurer la famille sur mon sort.

Samedi 22: Jusqu’à aujourd’hui c’est le train train journalier du quartier. Suzanne est venue me voir; çà m’a mis un peu de baume dans le cœur.

23 et 24: Deux bonnes journées passées ensemble; elle reprend le train de 2H42 pour Paris. Il était temps, en rentrant au quartier, rassemblement pour fuir devant les Allemands qui sont à Archies, à 10 k de Douai. Nous fuyons devant l’invasion il paraît que l’on va à Louviers pour mettre les chevaux à l’abri; on marche toute la nuit jusqu’à Arras où nous mettons nos chevaux dans le champ de courses.

Douai-Arras c’est 26 km. Actuellement si l’on souhaite faire ce trajet en randonnée, il est indiquée 6h, mais avec leur barda, les soldats on dû mettre plus de temps.

26: Départ d’Arras pour Pommier. 27 Fienvillers 28 St-Riquier 29 Hallencourt 30 Nesle-l’Hôpital 31 Gaillefontaine 

En 6 jours il parcourt 140 km.

Cartographie faite avec maps.google

Là nous avons eu une alerte en route à deux pas de Gaillefontaine: les gens du pays étant venus dire qu’il arrivait sur la route une auto mitrailleuse allemande et des uhlans, il y a eu dans la colonne une panique terrible d’être surtout en manque d’énergie dans le commandement: plusieurs chevaux blessés et tués, d’autres égarés ainsi que des hommes. Chose honteuse, j’ai vu des officiers se sauver plus vite que des hommes, je crois qu’ils auraient passé sur leurs cadavres. Par contre notre Lieutenant (Luc) a fait bonne contenance ainsi que biens des hommes.

Le Uhlan est un cavalier prussien. Je n’ai jamais connu mon arrière-grand-père mais sa remarque sur les officiers est conforme à ce que mon grand-père me disait de lui: un homme honnête qui refusait la lâcheté.

1 7bre Elbeuf-sur-Andelle 2 7bre Alizay 

3 7bre Louviers. Je veux changer de linge et je m’aperçois que quelqu’un m’a volé ma nuisette dans la fourragère, aussi je suis en colère et il ne faudrait pas me parler de camaraderie, car c’est dégoutant de voir qu’il y a des saligauds capables de voler les affaires de leurs camarades de misère: de la sorte je ne peux pas changer cependant j’en ai besoin. 

En 3 jours 70 km parcourus.

Cartographie faite avec maps.google

4 7bre Louviers. nous sommes ici en attendant d’embarquer, quelques uns disent pour Angoulême. Je rouspète continuellement et je passe pour une forte tête, mais il faut bien, autrement on nous laisserai mourir de soif et de faim; nous ne touchons pas à ce quoi nous avons droit. Il vient de paraître un ordre du général qui nous interdit d’aller au cabaret, c’est ce qui m’a forcé à réclamer pour le boire, car nous n’avons pas encore vu la moindre goutte de vin ou de cidre à l’ordinaire et c’est dur de manger sans boire.

Samedi 5 7bre: nous partons de Louviers à pied pour Elbeuf (16 km) où nous devons embarquer; nous avons rencontré sur la route un chêne de 267 ans. Nous voici arrivés à Elbeuf; C’est un pays où nous sommes très bien reçus et il n’y en a guère parmi nous qui aient couché au cantonnement; la plupart est nourri et couché chez l’habitant.

Dimanche 6 7bre: Nous avions crû embarquer aujourd’hui mais il n’en est rien, l’opération est repoussée au lendemain et nous n’en sommes pas fâchés, car nous pouvons rester un peu plus dans ce pays hospitalier.

Lundi 7 Enfin nous sommes embarqués. je ne sais ce que va durer le voyage, mais il s’annonce comme très long.

Mardi 8. Nous roulons vers Angoulême

Mercredi 9. Nous arrivons à minuit à Ruelle; on débarque et se dirige à pied sur le camp de la Braconne (8 Km) où personne ne nous attend encore, alors dans la nuit, il faut chercher les baraquements qui nous sont affectés. je crois que je ne vais pas rester longtemps, un copain du bureau me dit que je suis désigné pour aller compléter le 21ème d’Angoulême qui va coopérer à la défense de Paris.

Jeudi 10. Je ne suis par parti comme il était dit étant arrivé un contre-ordre au dernier moment.

Vendredi et Samedi 12: il n’y a encore rien de nouveau, mais nous nous ennuyons à traîner nos guêtres à travers le camp.

Dimanche 13: J’ai pu m’éclipser du camp et aller voir mon oncle à Ruelle qui m’a très bien reçu et j’ai passé une bonne journée.

Lundi et Mardi 14 et 15: rien de neuf. On s’ennuie fortement, surtout que je voudrais voir mes cousines à Angoulême et il n’y as pas moyen.

Mercredi 16: Toujours l’ennui et il n’arrive pas de lettre pour nous faire prendre patience. Ah! si, sur la fin de la journée, j’ai des nouvelles de Nantes, j’en suis tout heureux.

Jeudi 17: Je reçois une triste nouvelle de ma sœur concernant mon frère; pauvre petit gars il vient d’être blessé à l’ennemi et il est bien mouché, mais il ne faut pas désespérer tant qu’il y a de la vie, il y a de la ressource; c’est égal , on a beau s’attendre à tout, j’en ai gros sur le cœur. Toujours pas de nouvelles de Baptiste, mais ça n’a rien de drôle étant à l’armée de Belgique, il n’a pas de communication.

vendredi 18

Samedi et Dimanche 19 et 20: Toujours rien de nouveau et l’on s’ennuie fortement

Lundi 21. Mardi 22: J’ai pu obtenir une permission pour Angoulême: je suis allé voir mes cousines […], en revenant j’ai couché chez mon oncle Barrière et suis rentrée au camp le mercredi 23 où je ne suis pas resté longtemps car il a fallu revenir de suite à Ruelle pour travailler à la fonderie.

Jeudi 24 et Vendredi 25: Nous sommes toujours là et nous n’avons pas commencé à travailler: je couche chez mon oncle avec mon ami Laurent et nous ne sommes pas les plus malheureux.

Samedi 26 Dimanche 27

Lundi 28

Mercredi 30: je travaille à l’arsenal.

Heureusement pour lui, SA guerre se termine à partir du moment où il est affecté à l’arsenal de Ruelle, pour travailler à l’usine d’armement, il termine alors son journal, reprenant une vie d’ouvrier comme il a toujours connu. La suite me sera connue par des échanges de lettres.

Cette habitude de tracer son parcours il la reprendra brièvement lors de l’exode de 1940 et utilise une partie non utilisée de son livret militaire pour tracer son trajet jusqu’à Batz (Loire-Atlantique).

Extrait du livret militaire de Barrière Jean dit Louis © Collection personnelle

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